Pendant le confinement et au-delà des rendez-vous pédagogiques, j'avais envie de m'adresser aux étudiants d'une autre manière.
Le confinement se prolongeait jusqu’au 11 mai et le temps était parfois long. Une petite missive avec conseil de lecture, musique, films et bien sûr LA maxime du jour me permettait de garder contact avec celles et ceux qui le souhaitaient.
Voici alors les trois derniers billets d’humeur :
23 avril
Bonsoir !
J’espère que vous allez au mieux, que vous passez des moments confinés pendant lesquels vous arrivez à décrocher un peu… à voir que la nature explose et que c’est une force qui dit OUI à la vie !
Ce soir ma maxime est courte et politiquement complètement incorrecte. Elle est d’Auguste Renoir :
« Quand j’ai peint une fesse et quand j’ai envie de taper dessus, c’est qu’elle est finie. »
C’est une citation écrite sur un petit papier et accrochée depuis des années dans mon atelier. Elle exprime très bien pour moi le moment où une peinture est « finie » et pendant lequel j’éprouve une sensation physique de bonheur, d’équilibre, de justesse. Ce moment est si difficile à attraper, c’est un équilibre délicat et il suffit d’un geste de trop – car on veut toujours bien ou mieux faire – que l’ensemble bascule.
Il arrive que je guette le moment pour continuer à peindre pendant des jours, comme un chasseur peut guetter une biche ou un sanglier.
Ces derniers jours, j’ai repris deux autoportraits esquissés depuis deux ou trois ans. Dans une sorte de fougue j’ai peint par dessus la quasi totalité du visage, car j’avais tout raté après avoir presque fini. Et finalement un seul œil fixe le spectateur comme s’il ne voulait plus le lâcher. Quand j’arrive le matin à l’atelier, j’ai l’impression que quelqu’un m’y attend et me demande quelque chose. Il y a de la vie et de l’interrogation.
C’est certainement ce côté vivant qui incitait Renoir à vouloir taper sur la fesse de la femme qu’il a peinte ?
Portez vous bien, gardez confiance en vous et vos ressources et n’hésitez pas aussi d’accepter votre désarroi et votre tristesse et lassitude.
Anke
5 mai
Chères toutes et tous !
Je vous imagine compter les jours jusqu’au 11 mai comme moi.
« Ich erwarte Dein Kommen sehnsüchtig », c’est la maxime du jour, écrite sur une carte postale publicitaire annonçant une exposition de Vincent van Gogh.
Cela pourrait difficilement se traduire en français je trouve, car le mot Sehnsucht ne correspond ni au désir (physique) ni à l’envie. C’est un désir quasi abstrait, total et qui donne des frissons.
J’essaye tout de même de vous traduire ce que dit Vincent : « J’attends ta venue avec envies ».
L’art (et bien sûr aussi l’expo annoncée) serait alors habité de désirs inexplicables, vitaux et indissociables de notre être.
J’attends alors lundi prochain avec beaucoup de Sehnsucht, envies, désirs de vraies rencontres et de liberté de circulation !
En vous souhaitant une très bonne semaine, rêves d’une vie « après », retrouvailles, petits plaisirs de ballade et réconfort dans le cercle de vos familles et proches.
Merci à toutes et tous pour vos réactions touchantes et n’hésitez pas de faire signe pour échanger.
Anke
10 mai
Bonsoir à toutes et tous !
voilà, demain nous retrouverons une certaine liberté. La crise n’est certes pas finie, toutes les précautions que vous connaissez et l’effort collectif sont nécessaires pour vivre notre renaissance de printemps.
J’ai lu un article danse Monde du 17 avril dernier de François Julien, sinologue et philosophe, qui parle justement du mot « crise ». En chinois crise se traduit par wei-ji : un « danger-opportunité ». Dans le danger même pourrait se révéler une opportunité.
Je vous joins deux autres articles qui parlent de cette opportunité. Au-delà des clivages politiques, nous devons saisir ce moment de danger-opportunité. C’est à nous tous de changer la manière de nous déplacer, de manger, de nous habiller… pour commencer avec des petits pas à la portée de tous. Muhammad Yunus Prix Nobel de la Paix 2006 (Le Monde 6 mai) , Nicolas Hulot ancien ministre de l’écologie.
Article « Le temps est venu » par Nicolas Hulot
Et voilà la maxime du jour de Nicolas de Staël peintre français dont mon premier amoureux m’a fait découvrir le travail.
« Ne pensez pas que les êtres qui mordent la vie avec autant de cœur, s’en vont sans laisser d’empreintes. »
Mordez la vie, jouissez sans entraves (ça, ce n’est pas de moi, mais de Guy Debord) sans oublier que la mort fait partie de la vie. C’est probablement cette conscience de notre finitude et celle de la terre que sommes en train d’apprendre.
Laissez des empreintes !
Je tiens encore une fois à remercier toutes les personnes qui ont répondu à mes maximes. Je suis très, très touchée par vos partages de dessins, aquarelles, musiques, citations et références littéraires.
« Les lettres à un jeune poète » de Rilke qu’une personne parmi vous est en train de lire ont particulièrement raisonné en moi. J’ai apprécié les passages cités. J’avais lu ce petit ouvrage à 20 ans, je l’ai offert par la suite à beaucoup de personnes, car je trouve que l’auteur parle bien de ce que nous pouvons tous ressentir : les doutes, la solitude, les interrogations quant à la création. Voici donc le lien si vous avez envie de lire.
Et si vous lisez l’allemand : les poèmes ! et aussi ce qu’il écrit sur Rodin (il a été le secrétaire de l’artiste par moment).
Je vous souhaite un bon déconfinement.
Je ne sais pas encore si je continue à vous envoyer des maximes et autres pensées. Certainement pas aussi régulièrement, mais je dois avouer que cela me faisait plaisir de partager ces moments avec vous. Ce serait peut-être une idée de vous manifester, je ferai une mailing liste et n’embêterai pas celles et ceux qui ne souhaitent pas recevoir mes missives.
Faites vous confiance, finissez bien l’année universitaire et n’hésitez pas de me solliciter si vous en éprouvez le besoin.
Chaleureusement,
Anke
Et avec la permission des auteurs quelques réactions :
24 avril
Bonjour madame,
c’est la première fois que vous réponds mais je lis avec plaisir vos messages.
Même si les études sont importantes, je pense qu’il y a énormément d’autres sujets à observer, comprendre et s’approprier dans notre environnement et je prends cette situation comme une opportunité de faire des choses intéressantes qui sortent du cadre scolaire et que je trouve tout aussi importantes pour mon éducation, et mon évolution personnelle. Et je suis soulagée et contente de trouver dans vos mails la même opinion !
J’espère que vous allez bien, bonne fin de vacances.
26 avril
Bonjour madame,
je souhaitais vous faire part du plaisir que je prends à lire vos petits messages chaque semaine. Ils sont toujours très captivants et enrichissants et apportent un nouveau regard sur cette période où l’on se sent parfois étriqué. J’apprécie que vous nous ayez partagé vos peintures que je trouve extrêmement poignantes et « vivantes ». De mon côté, je me remet à la couture et à la pâtisserie et je profite de mes fins de journées pour faire ma balade quotidienne et contempler le paysage printanier qui m’entoure sous la lumière de fin de journée que j’adore!
Bonne fin de week-end à vous!
Aurélia
5 mai
Bonjour Anke,
merci pour vos messages ! moi aussi j’attends le 11, même si je sais ce qui va me manquer le plus : de voyager et échanger avec mes amis erasmus qui sont rentrés… Le confinement me fait vraiment réaliser à quel point j’ai besoin des échanges, relations sociales. J’étais parti chez ma mère à Avignon, puis rentré à Strasbourg dans l’espoir d’aller mieux mais rien n’y fait, je n’arrive pas à être heureux dans cette situation.
À bientôt et je vous souhaite de belles célébrations de la libération de lundi !
Bonne journée,
Raphaël
5 mai
Bonjour,
Merci pour vos messages pleins d’espoir et d’attention. Je me sens personnellement mélancolique et pensive depuis quelques jours. J’ai toujours accueilli ces états d’âme sans jugement ni déni car ce sont eux qui dans les meilleurs moments me permettent d’être plus empathique et exaltée. Toutefois, l’absurdité générale de la situation et l’éloignement des amis n’aident pas à aller de l’avant. Je me suis replongée dans les « Lettres à un jeune Poète » de Rainer Maria Rilke, que j’ai précieusement pris sous mon coude avant de revenir chez mes parents. Ces lettres trouvent une résonance toute particulière en cette période de confinement. Voici quelques uns de mes passages préférés :
« Si vous vous en tenez à la Nature, à ce qu’il y a en elle de simple, de petit, que presque personne ne voit, et qui, sans qu’on y prenne garde, peut devenir le grand, l’incommensurable; si vous avez cet amour de l’infime, et si vous essayez tout simplement en serviteur, de gagner la confiance de ce qui a l’air pauvre : alors tout deviendra plus facile, plus cohérent, et en quelque sorte plus conciliant. »
À propos de Dieu : « qui est-ce qui vous donne le droit de le regretter […] et de le chercher comme s’il était perdu? Pourquoi ne pensez-vous pas qu’il est celui qui, depuis l’éternité, est imminent, à venir, fruit final d’un arbre dont nous sommes les feuilles? Qu’est-ce qui vous empêche de projeter sa naissance dans les temps futurs et de vivre votre vie comme une douloureuse et belle journée dans l’histoire d’une grande grossesse? »
Je profite également de ce confinement pour me replonger dans mes films favoris (Fight Club, Mulholland Drive…), et en découvrir de nouveaux. Mon seul critère : qu’ils durent au moins deux heures! J’ai ainsi découvert le classique « Il était une fois en Amérique » de Sergio Leone avec mon papa, le déchirant « Magnolia » de Paul Thomas Anderson, le thriller « Mystic River » de Clint Eastwood… Je tiens finalement le meilleur remède à l’enfermement dans les films de Terrence Mallick : contemplation de grands espaces déformés par une courte focale, caméra qui épouse les mouvements des protagonistes pour mieux saisir leurs doutes et leurs questionnements sur la vie, Dieu, la Nature. Je ne peux que vous conseiller « The Tree of Life » et « A Hidden Life », que j’ai découvert au cinéma en décembre et qui m’a beaucoup touché. Je vous joins la bande-annonce.
Je vous souhaite une bonne fin de journée,
Cordialement,
Clémence