Cette année, jolie moisson, trois diplômées architectes 2023 de l’INSA Strasbourg viennent de remporter trois grands prix de l’Académie d’architecture pour leur Projet de fin d’études (PFE). La réinterprétation d’un patrimoine militaire côtier, la métamorphose de la ville au regard de l’effondrement, le bambou comme matériau de construction étonnant à La Réunion : trois projets singuliers distingués par la profession.

par Stéphanie Robert

Lucille Fauvel – Prix Meyer-Levy – Réinterpréter les blockhaus de la côte bretonne

Ils sont malaimés par les locaux, ces blocs de béton semi-enterrés sur le littoral breton, témoins de la Seconde Guerre mondiale, explique Lucille Fauvel. Mais, elle, elle les trouve intéressants, elle les connait depuis son enfance et a voulu les donner à voir autrement. Elle s’est intéressé à un site de 16 ha, les Rospects de Penn-ar-Bed, « le bout du monde » en breton. « Les bunkers ont une architecture complexe et particulière avec 50 cm à 5 m de béton armé, et plusieurs strates historiques. On y récoltait le goémon, puis les bunkers ont été construits en 1929 pour défendre Brest, avant d’être repris et densifiés par les forces allemandes pendant l’Occupation » explique-t-elle. Lucille propose un aménagement paysager liant les blockhaus, la nature riche en biodiversité et le sentier du GR34 ; un programme architectural comprenant un Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine (CIAP) et des locaux associatifs ; et un nouveau procédé constructif du béton, plus sobre écologiquement, le béton damé de terre.

« La richesse du projet tient au dialogue entretenu entre paysage, histoire et interventions architecturales. Il englobe une réflexion bioclimatique et met en œuvre une économie circulaire avec l’idée d’un chantier participatif. Un projet à la fois riche, sensible, servi par des maquettes d’une grande beauté et par une présentation orale pleine de finesse, d’intelligence » souligne le jury du Prix Meyer-Levy. Lucille a également remporté la mention spéciale « Architecte Ingénieure – Ingénieure Architecte » du Trophée Béton 2024.

Carte de territoire

Plan masse

Voir la synthèse – « La face cachée de Fineterre, les Rospects de Penn-ar-Bed »

Adèle Guerri – Prix Camelot 2024 – Le bambou à La Réunion, sa culture pour la construction

 « Le bambou est impressionnant comme matériau : renouvelable, léger, il peut être aussi résistant que l’acier ou le béton, résister aux cyclones, aux embruns… Il est aussi propice à l’autoconstruction et favorable aux écosystèmes » explique Adèle Guerri. Elle a découvert ses propriétés remarquables lors de son stage ingénieur en génie civil sur l’île, où le bambou est endémique. Dans son projet, elle étudie la création d’une filière de production du bambou pour la construction, une alternative au modèle agricole et économique actuel de l’île qui repose sur la canne à sucre, dédiée à l’export.

Elle examine la problématique depuis l’échelle de l’île à celle du détail, emboitant les échelles. Sur une zone délaissée du port de Sainte-Marie, elle propose une usine de transformation du bambou, un centre de formation dans une ancienne exploitation sucrière (réhabilitation et extension), et une passerelle piétonne sur pilotis pour connecter ses aires à la zone de production. Le tout est construit en bambou, seul ou associé à d’autres matériaux : ossature, charpente, toiture, dalles, isolation, piliers et structure… « C’est une approche pratique et appliquée. Le projet a évolué et s’est nourri des maquettes, dont certaines à l’échelle 1. Mon expérience sur les chantiers m’a aussi beaucoup aidée » souligne la jeune architecte.

Maquettes

Voir la synthèse – « Filière en chantier »

 Camille Trinquecostes – mention au Prix Tony Garnier^[1] — La ville dense face aux enjeux de la décroissance

Comment repenser les villes et les rendre décroissantes pour qu’elles anticipent et soient résilientes face à l’effondrement ? Le projet de fin d’études de Camille Trinquecostes, récompensé par la mention au Prix Tony Garnier 2024, tente d’apporter des réponses, en partant de l’exemple de Strasbourg, et en particulier du quartier historique de la Krutenau. « Les villes sont fragiles face à l’effondrement car elles sont dépendantes de l’approvisionnement mondial. Mon étude s’intéresse à relocaliser l’approvisionnement, notamment alimentaire, et la production d’énergie pour rendre le territoire autonome, à l’évolution des modes de vie urbains, et aux aménagements urbains et architecturaux à mettre en œuvre progressivement. L’idée du projet est d’anticiper ce moment de rupture qu’est l’effondrement, pour l’éviter » explique-t-elle.

Son projet propose notamment une réflexion théorique et territoriale, des réaménagements de la voirie pour créer des corridors verts, des espaces d’autoproduction alimentaire, le transport fluvial, l’aménagement du Grenier (ancien grenier médiéval) en un lieu de sensibilisation des habitants puis son évolution en un « garde-manger de quartier ». Elle imagine le quartier évoluant avec des méthodes constructives sobres, adaptées à l’effondrement, comme l’isolation des façades avec des bottes de paille, en autoconstruction. Une vision engagée, voire politique. Une sorte d’« architecture-fiction » pour penser l’effondrement.

Projet de fin d’études de Camille Trinquecostes

Voir la synthèse – « Strasbourg comme terrain d’expérimentation de l’habiter collapsosophiste »

^[1] Pas de lauréat en 2024, cette mention vaut le premier prix ex æquo